« Chaque échec est un pas vers le succès », disait William Whewell en 1852. Une phrase devenue mantra dans le développement personnel, les conférences de motivation, et les récits d’entrepreneurs à succès. Mais derrière cette glorification massive de l’échec se cache une vérité souvent oubliée : l’échec, à lui seul, ne nous apprend rien. Ce n’est qu’en le travaillant activement qu’il peut devenir un tremplin.

Dans son article publié dans Epsiloon (n°41, novembre 2024), la chercheuse Lauren Eskreis-Winkler remet en question cette idée largement répandue. Pour elle, croire que chaque échec conduit automatiquement à une réussite future est non seulement une simplification, mais aussi un piège. Pire encore, cette croyance pourrait nous détourner des efforts nécessaires pour progresser réellement.

Pourquoi glorifions-nous autant l’échec ?

Des figures emblématiques comme Michael Jordan, qui déclarait : « J’ai échoué encore et encore, et c’est pour cela que je réussis », ou encore le philosophe Costica Bradatan, qui considère l’échec comme « vital pour une vie bien vécue », ont popularisé l’idée que l’échec est une étape indispensable.

Mais si cette vision inspire, elle peut aussi tromper. L’échec est aujourd’hui présenté comme une panacée : une source d’humilité, de résilience, et même de développement personnel. Pourtant, comme le souligne Lauren Eskreis-Winkler, cette vision romantique est simpliste.

« L’échec, par lui-même, est un très mauvais professeur. Il est muet, incapable de transmettre une leçon, à moins que nous ne choisissions activement de travailler dessus. »

Lauren Eskreis-Winkler – Epsiloon n°41, novembre 2024

L’échec fausse notre perception

L’étude d’Eskreis-Winkler met en lumière un biais surprenant : nous surestimons systématiquement les chances de rebondir après un échec. Par exemple, dans le cadre de son étude :

  • Les participants estimaient que 58 % des avocats réussiraient leur examen professionnel après un premier échec. En réalité, ils ne sont que 35 %.
  • Pour les patients ayant survécu à une crise cardiaque, 62 % étaient censés changer leur mode de vie. En réalité, seulement 47 % y parviennent.

Ce biais n’est pas lié à un excès d’optimisme, mais bien à la manière dont nous percevons l’échec. L’échec déforme notre vision de la réalité, nous rendant trop confiants dans la capacité à rebondir. Et pour ceux qui échouent, ce biais peut devenir un obstacle, car il masque le travail nécessaire pour progresser.

La vérité inconfortable : l’échec demande un effort actif

Si l’échec peut être un levier de progression, il n’est jamais automatique. Pour transformer une erreur en opportunité d’apprentissage, il faut une démarche volontaire :

  • Analyser les causes de l’échec.
  • Demander du feedback sincère.
  • Mettre en place des actions concrètes pour éviter de répéter les mêmes erreurs.

Cela peut se faire seul, mais souvent, un regard extérieur – mentor, pair ou accompagnant – est nécessaire pour poser les bonnes questions et confronter les zones d’ombre. L’important est de ne pas chercher à fuir l’échec pour préserver son ego, mais de s’y confronter avec honnêteté.

L’échec, entre glorification et stigmatisation : un choc culturel

La manière dont nous percevons l’échec dépend aussi de notre culture. Dans les pays anglophones, l’échec est largement valorisé. Aux États-Unis, on le voit presque comme une étape noble du parcours de toute personne ambitieuse. Au point que certaines entreprises valorisent les candidats qui peuvent raconter leurs échecs lors d’entretiens d’embauche.

En Europe, et particulièrement en France, la vision est tout autre. L’échec est souvent stigmatisé, vu comme une faute ou une marque d’incompétence. Cette approche binaire – succès ou échec – limite les individus et les organisations, qui hésitent à prendre des risques ou à expérimenter.

Mais attention : glorifier l’échec, comme dans les pays anglophones, n’est pas non plus la solution. Comme le souligne Eskreis-Winkler, la clé n’est pas dans le mythe selon lequel « l’échec mène toujours au succès« . Elle est dans le travail nécessaire pour transformer un revers en véritable apprentissage.

En Europe, cela passe par un double effort :

  1. Apprendre à accepter l’échec comme une étape normale du processus.
  2. Aller au-delà de la simple glorification et reconnaître l’effort qu’il demande.

Repenser nos approches face à l’échec

Trop souvent, nous utilisons l’échec comme une histoire réconfortante. Nous aimons croire que tout échec se solde naturellement par une réussite. Mais cette vision, bien que séduisante, est trompeuse.

La réalité est différente :

  • L’échec demande une confrontation active.
  • Il nécessite des efforts pour en tirer des leçons.
  • Et surtout, il ne garantit pas automatiquement une issue positive.

Pour progresser, il ne suffit pas d’échouer. Il faut travailler sur ses échecs, individuellement ou collectivement, en se donnant les moyens d’avancer. Que ce soit par le biais de réflexions personnelles, de feedbacks, ou d’accompagnements plus structurés, le travail actif est la seule voie vers une véritable résilience.

Au-delà du mythe

En glorifiant l’échec ou en le stigmatisant, nous passons à côté de son véritable potentiel. Tirer parti d’un échec n’est ni une évidence, ni une fatalité : c’est un choix actif.

En tant qu’individus, nous avons tout intérêt à mieux comprendre nos erreurs et à les travailler. En tant que société, nous devons nous débarrasser du mythe d’une résilience automatique pour encourager des approches concrètes, basées sur la réalité des chiffres et des expériences.

L’échec n’est pas une fin. Ce n’est pas non plus un raccourci. C’est un terrain complexe, exigeant, mais incroyablement fertile pour ceux qui choisissent de le cultiver.

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